Analyse fine des minerais latéritiques : approches pétrographique, minéralogique, géochimique et isotopique. Les gisements de nickel latéritique de Nouvelle-Calédonie, volume III
Abstract
Les objectifs du projet « Analyse fine de minerais latéritiques : Approche pétrographique,
minéralogique, géochimique et isotopique» étaient de (i) révéler les changements de
spéciation de Ni et Co au cours du développement des profils d’altération latéritique sur
péridotites, (ii) mieux caractériser les amas minéralisés Mg/Ni à phyllosilicates et Ni/Co à
phyllomanganates susceptibles d’enrichir les unités latéritiques de ces profils d’altération, (iii)
révéler les conditions de formation et les processus associés à la mise en place de ces amas
minéralisés et des niveaux latéritiques qui les portent (élaboration de modèles de mise en
place des minerais latéritiques) et (iv) révéler les facteurs et processus propices à la
concentration et dispersion des éléments métalliques (transferts de matière et bilans de
masse). Pour atteindre ces objectifs, nous avons couplé des observations de terrain à des
analyses pétrographiques (microscopies optique et électronique à balayage sur lames
minces et microscopie électronique en transmission sur coupes ultraminces), physicochimiques
(ICP-AES et thermogravimétrie sur micro-prélèvements, microsonde électronique
sur lames minces), minéralogiques (diffraction de rayons X et affinement Rietveld sur
poudres) et de la spectroscopie du solide (spectroscopie Raman et spectroscopie
d'absorption des rayons X sur rayonnement synchrotron - EXAFS). Cette caractérisation
détaillée des phases porteuses de Ni/Co (phyllosilicates, oxydes de Fe et Mn) et l’évaluation
de leurs contributions respectives au piégeage de ces éléments métalliques d’intérêt
économique constituent l’un des aspects originaux de ce projet.
Sur les trois grands types de minerais répertoriés dans le monde pour les latérites
nickélifères, deux sont particulièrement abondants en Nouvelle-Calédonie : (i) les minerais
silicatés Mg/Ni à deweylite et garniérite et (ii) les minerais oxydés à oxydes de fer. Ces deux
types de minerais sont directement superposés, respectivement dans les niveaux
saprolitiques et latéritiques des couvertures d’altération. Ils sont tous les deux associés à des
environnements bien drainés qui sont dominants dans les massifs péridotitiques de la
Nouvelle-Calédonie (systèmes assimilés à des karsts à nappe phréatique profonde et à
drainages latéraux). Ces environnements s’observent à la fois dans des compartiments
surbaissés et incisés du massif du Sud (pénéplaines de la région de Goro et de la plaine des
lacs) et dans des compartiments surélevés (massifs ou klippes) de la partie centrale et Nord
de l’île. Le troisième type de minerais est un minerai silicaté à smectites ferrifères,
généralement observé à la base des profils d’altération dans des environnements moins bien
drainés. Du fait de sa faible représentativité et du temps imparti, ce troisième type de minerai
n’a pas été étudié dans le cadre de notre projet.
L’ensemble des résultats obtenus dans le cadre des travaux réalisés sur nos sites d’études
nous permet de proposer un modèle en deux grandes étapes pour l’altération de la masse
ophiolitique et la mise en place des amas minéralisés à Ni/Co. La première étape est
associée à une altération précoce du réseau majeur de fractures serpentinisées des
péridotites lors d’épisodes tectoniques post-obduction. Cette altération, qui s’est
probablement déroulée en contexte hydrothermal de basse température, est à l’origine de la
mise en place des amas minéralisés à Ni/Co dans la saprolite. La seconde étape est
attribuée à une altération massive de la masse ophiolitique qui s’est propagée
préférentiellement depuis les zones intensément fracturées et minéralisées de l’ophiolite vers
la péridotite encaissante. Cette altération supergène (latéritisation), et donc probablement
toujours active, débute aux interfaces entre les veines serpentinisées et minéralisées et les
corps péridotitiques. Elle préserve, dans un premier temps, les réseaux de fracturation
majeurs portant les veines serpentinisées et minéralisées en se propageant
préférentiellement dans les corps péridotitiques encaissants. Cette évolution différentielle
contribue à une altération en boule qui peut être observée dans la plupart des massifs
prospectés. Cette altération différentielle explique également la préservation des passées
serpentinisées et minéralisées portant les minéraux silicatés Mg/Ni et les veines siliceuses à
la base des profils d’altération, puis leur altération et démantèlement dans les niveaux
latéritiques sus-jacents du fait de l’intensification des processus de latéritisation. Ce modèle
d’altération en deux grandes étapes suggère ainsi que ce sont les minéralisations silicatées
Mg/Ni (et principalement le pôle garniéritique) qui « nourrissent» les latérites et non le
contraire comme cela est généralement proposé dans la littérature.
Nos résultats nous permettent également de proposer trois principales voies susceptibles
d’expliquer la variabilité des concentrations en Ni/Co de la partie supérieure des profils
d’altération. Ces trois voies et l’identification des faciès d’altération correspondants (cf
annexe I) pourraient servir de guides utiles à la prospection et l’exploration rationnelle des
minerais latéritiques du Territoire.
La première voie, implicitement admise par les mineurs, attribue un rôle déterminant aux
principaux réseaux de fracturation des massifs et aux minéralisations qui leur sont associées
dans l’accumulation d’éléments métalliques (principalement Ni, Mn et Co) au sein des
formations latéritiques qui les surmontent. Cette voie attribue ainsi une relation de cause à
effet entre ces minéralisations primaires (phyllosilicates Mg/Ni et faciès rubanés de certains
oxydes de Mn) et les amas minéralisés des latérites constitués majoritairement d’oxydes de
Fe (goethite pour l’essentiel) et dans une moindre mesure d’oxydes de Mn (primaires et
secondaires). Les minéralisations Mg/Ni sont principalement attribuées à des silicates
hydratés et mal cristallisés de la famille des serpentines, talcs et sepiolites qui se seraient
mis en place lors d’épisodes tectoniques post-obduction. Ces minéralisations se retrouvent
sous forme de résidus à la base des latérites et à l’aplomb des zones de fracturation (dans
les latérites de transition). Les minéralisations Ni/Co, qui se maintiennent plus haut dans les
profils d’altération, sont majoritairement attribuées à des phyllomanganates de la famille des
asbolanes, lithiophorites et birnessites. Les résultats de nos travaux tendent à relier ces
minéralisations Ni/Co à des épisodes hydrothermaux de basse température générés lors de
l’exhumation et du démantèlement de la masse ophiolitique, ainsi qu’à des écoulements
météoriques concentrés dans le réseau de fracturation généré par l’activité tectonique.
La seconde voie attribue un rôle primordial, et largement admis, à l’altération latéritique dans
l’accumulation résiduelle des éléments métalliques (principalement Ni, Mn et Co) par
exportation massive de Mg et Si. Cette voie nous a amenés, d’une part, à corréler ces pertes
de matières à des changements de spéciation des éléments métalliques (étape achevée
pour Ni et toujours en cours pour Co et Mn), et d’autre part, à relier ces derniers à la mise en
place des principaux niveaux latéritiques. Ainsi, l’altération préférentielle des silicates (olivine
et pyroxène) des péridotites, puis des phyllosilicates (serpentines et phyllosilicates Mg/Ni)
des fractures minéralisées, et leur remplacement par des oxydes de fer mal cristallisés
(essentiellement de la goethite) sont amorcés dans les niveaux saprolitiques, s’amplifient
grandement dans les latérites de transition et deviennent pratiquement total dans les latérites
jaunes, puis rouges, qui les surmontent. Les latérites de transition contiennent, de ce fait, les
résidus des minéralisations primaires qui nourrissent les minéralisations nickélifères à
goethite. Malgré un tassement du sol, la géométrie de ces latérites de transition, très variable
d’un site à l’autre, est dépendante de l’importance des structures qui ont concentré les
minéralisations primaires à phyllosilicates. Les phyllomanganates, qui constituent un second
porteur important de Ni (et le premier de Co), se retrouvent plus haut dans les profils et en
concentrations plus variables dans les séquences d’altération (plus précisément dans les
latérites de transition et latérites jaunes sus-jacentes).
La troisième voie, enfin, relie des mécanismes de dissolution/recristallisation des oxydes de
Fe et de Mn à la remobilisation de Ni et Co et à l’épuisement des minerais latéritiques dans
la partie supérieure des profils d’altération. Ces mécanismes s’amorcent à différentes
profondeurs suivant la nature des oxydes considérés. Ils débutent à la base des latérites
jaunes pour les oxydes de Fe (goethite) et entrainent l’expulsion progressive du nickel de la
structure de ces minéraux. En s’accentuant vers la surface, cette expulsion s’accompagne
d’un tassement et d’une induration des matériaux dans les latérites rouges et les niveaux
supérieurs indurés à pisolites et à cuirasses. A l’inverse, la dissolution des oxydes de Mn
n’est significative que dans la partie supérieure des latérites jaunes et des latérites rouges et
indurées sus-jacentes. Cette dissolution nourrit plus en profondeur de nouvelles générations
d’oxydes de Mn, probablement à la faveur de processus redox (ré humectation saisonnière
des latérites, présence de nappes perchées temporaires, …) qui restent à préciser.
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